L’épidémie du COVID-19 occupe tous les esprits. Dans cet article, nous étudions les aspects épidémiologiques et sanitaires des actions non pharmaceutiques sur la propagation du virus. Notre analyse s’appuie notamment sur les résultats publiés par l’équipe COVID-19 de l’Imperial College concernant la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
Les stratégies non pharmaceutiques
Il existe principalement deux grandes stratégies non pharmaceutiques pour agir sur la propagation du virus et donc sur le nombre d’hospitalisations et de décès. Il s’agit des stratégies :
D’atténuation de la propagation du virus
De suppression de la propagation du virus
La stratégie d’atténuation correspond à une combinaison de quatre actions :
L’isolement à domicile des cas suspects
La mise en quarantaine des personnes vivant dans le même ménage que les cas positifs
L’éloignement social des personnes âgées et des personnes les plus fragiles
La fermeture des écoles et des universités
La stratégie d’atténuation a pour objectif de ralentir l’épidémie sans pour autant la stopper. Le rôle de cette politique est de diminuer le pic de la demande en soins intensifs tout en protégeant en priorité les populations les plus à risque. Ces mesures doivent être appliquées sur une période d’au moins trois mois et elles sont jugées utiles si une couverture immunologique conséquente se construit.
La stratégie de la suppression cherche quant à elle à réduire la contamination de nouvelles personnes à des niveaux très bas en limitant au maximum les interactions entre individus. De telles politiques se traduisent par un renforcement des mesures prises dans le cadre d’une atténuation avec l’ajout de contraintes d’éloignements sociales globales pour l’ensemble de la population (confinement).
Modélisation des actions non pharmaceutiques
Les hypothèses de modélisation
La modélisation des actions non pharmaceutiques est basée sur les statistiques de la pandémie observées en Chine et en Corée du Sud.
Dans le modèle retenu, un tiers des transmissions se produit au sein du ménage, un tiers dans les écoles ou les lieux de travail et le tiers restant au sein de la communauté.
La période d’incubation est de 5,1 jours. L’infectiosité est supposée survenir à partir de 12 heures avant l’apparition des symptômes pour ceux qui sont symptomatiques et à partir de 4,6 jours après l’infection pour ceux qui sont asymptomatiques. La durée d’infectiosité est en moyenne de 6,5 jours.
Au rétablissement, les individus sont supposés être immunisés contre la réinfection à court terme. Le taux de croissance de la maladie est supposé exponentiel avec un doublement des personnes infectées tous les 5 jours. Les deux-tiers des cas sont suffisamment symptomatiques pour s’auto-isoler en cas de mise en place de politiques d’isolement des personnes contaminées dans la journée suivant l’apparition des symptômes.
Le délai moyen entre l’apparition des symptômes et l’hospitalisation est de 5 jours.
La répartition par âge des personnes infectées nécessitant une hospitalisation et le taux de mortalité par infection correspondant est également basée sur l’expérience chinoise.
Il est également supposé que 30% des personnes hospitalisées auront besoin de soins intensifs et que parmi elles, 50% décéderont.
La durée de séjour à l’hôpital est de 8 jours si les soins intensifs ne sont pas requis et de 16 jours si des soins intensifs sont nécessaires. Ces hypothèses conduisent donc à une durée moyenne d’hospitalisation de 10.4 jours.
Les résultats de la modélisation
En l’absence de stratégie
Sur la base de ces hypothèses de propagation du virus et de létalité, il est estimé qu’en absence de mesures, le pic de mortalité aura lieu trois mois après le début de l’épidémie. 81% de la population de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis sera touchée. En terme de décès, cela se traduirait par 510 000 décès en Grande-Bretagne et 2.2 millions aux Etats-Unis. En extrapolant ces résultats à la France, on peut estimer que sans aucune action, le nombre de décès se porterait à 514 000.
Un autre point d’attention est la rapidité de saturation des unités de soins intensifs. Si aucune action n’est menée, celle-ci serait dépassée dès la deuxième semaine d’avril avec un pic représentant plus de trente fois la capacité maximale en soins intensifs de la Grande-Bretagne. A l'heure actuelle, les hôpitaux ne sont pas encore saturés mais le gouvernement britannique a annoncé sa volonté d'augmenter sa capacité notamment en ventilateur de plus de 300%.
Avec une stratégie d’atténuation
La mise en place d’une stratégie d’atténuation permettrait dans un premier temps de réduire l’impact de l’épidémie en réduisant l’incidence et le nombre total de décès. Pour ce faire, ces mesures doivent rester en place au moins trois mois pour l’ensemble de la population et un mois supplémentaire pour les personnes à risque. Le principal risque de cette politique d’atténuation est la saturation rapide de l’ensemble des capacités de soins intensifs en fonction des différentes mesures conservées :
Evolution du nombre de lits de soins intensifs occupés en fonction des actions prises par le gouvernement pour la Grande-Bretagne
La réduction du nombre de personnes en soins intensifs est possible dans le cadre d’un couplage des actions d'isolement des cas suspects, de la mise en place d’une quarantaine pour les personnes atteintes et leur entourage ainsi que l’éloignement social des individus de plus de 70 ans.
La fermeture des écoles et des universités a comme effet indirect de diminuer le nombre de soignants qui peuvent être contraints par la garde de leurs enfants.
Ces résultats montrent qu’une politique d’atténuation va certes permettre de réduire le nombre de décès mais elle aura comme conséquence une saturation des unités de soins intensifs dès les premiers mois de l’épidémie.
Finalement, les mesures pour atténuer le virus permettraient de réduire de deux tiers la demande de soins intensifs et les décès de moitié.
Étant donné qu'il est peu probable que l'atténuation soit une option viable dans des systèmes de santé développés, la stratégie de suppression semble nécessaire dans les pays capables de mettre en œuvre des contrôles intensifs de leur population.
Avec une stratégie de suppression
La mise en place d’une politique de suppression sur cinq mois permettrait en effet de réduire le flux de nouveaux cas graves et d’éviter une saturation des hôpitaux. L’éloignement social serait la clé de la réussite de ce projet. Dans les hypothèses de modélisation, il permettrait d’éviter toute saturation du système de santé lors de la première vague. Cependant, la rupture brutale du confinement entraînerait une nouvelle phase épidémique en novembre et décembre 2020.
Evolution du nombre de lits de soins intensifs occupés en fonction des actions prises par le gouvernement pour la Grande-Bretagne
L’objectif du gouvernement français est de porter le nombre de lits en soins intensifs à 14 000 soit environ 20.8 lits pour 100 000 habitants. En supposant que les résultats des simulations pour la Grande-Bretagne et pour la France soient similaires, on peut observer que le scénario intégrant un isolement des cas suspects, une mise en quarantaine des cas positifs et la généralisation de la distanciation sociale permet de ne pas atteindre les capacités limites.
Ainsi, les mesures mises en place en France devraient permettre selon les simulations d’éviter la saturation du système de santé en cherchant à supprimer la propagation du virus.
Le retour à la normale ?
Les stratégies d’atténuation ou de suppression du virus ont cependant une limite. La rupture brutale des actions ayant permis de limiter la propagation de la maladie aura pour conséquence directe la reprise d’une nouvelle épidémie.
Le retrait de ces mesures doit être effectué de façon progressive en se laissant la liberté de les réactiver en cas de résurgence même partielle du virus.
Selon les simulations de l’Imperial College, dans l’attente d’un vaccin, dont la mise au point est comprise entre 12 et 18 mois, ou d’une immunité collective suffisante, une temporalité des phases épidémiques associées à des phases de confinement va apparaître.
Evolution du nombre de cas hebdomadaires en Grande-Bretagne associés à la mise en place de politiques de suppression
En orange, on retrouve le nombre hebdomadaire de cas nécessitant des soins intensifs et en bleu les différentes périodes de confinement.
Cette série ne pourra prendre fin qu’à partir de la création d’une immunité globale de la population ou par la mise à disposition d’un vaccin ou d’un traitement.
Finalement, dans l'hypothèse d'une stratégie de suppression sur deux ans alternant phases de confinement et de déconfinement, le nombre de décès serait diminué de 92% et le nombre d'admissions en soins intensifs de 97%.
En conclusion, l’ensemble des mesures prises par le gouvernement vont dans le sens d’une suppression du virus en conservant l’objectif de ne pas saturer les unités de soins intensifs. Une fois le pic de l’épidémie derrière nous, une phase de sortie de crise devra être mise en place. Les mesures de confinement devront être retirées sans perdre de vue la fragilité de certaines populations et la possibilité d’une reprise de l’épidémie. La politique de suppression du virus devra donc évoluer dans le temps pour s’assurer de la viabilité des éventuels traitements et de l’immunité de la population.
En France, le gouvernement prépare des hypothèses de déconfinement avec l'éventualité d'une levée progressive dépendant de la région, de la tranche d'âge et éventuellement de la sérologie de la population. Plusieurs questions restent en suspens. Quel sera l'impact des traitements expérimentaux sur les prédictions de propagation et de létalité du virus ? La proportion de cas asymptomatiques est-elle suffisamment bien connue pour évaluer la part de la population ayant été infectée et donc immunisée ? La démultiplication des capacités de test permettra-t-elle de réduire la durée du confinement ?
Rédacteurs : Aurélie TREILHOU / Guerric BRAS
Références :
Impact of non-pharmaceutical interventions (NPIs) to reduce COVID-19 mortality and healthcare demand - Imperial College COVID-19 Response Team
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