L’écologie est aujourd’hui au cœur des débats de société, avec des avis divers sur la question. En quête de solutions, la nouvelle génération semble d’ailleurs particulièrement investie en ce sens. C’est ainsi par volonté, ou par obligation concurrentielle et/ou réglementaire que le monde de la finance et de l’assurance se positionne progressivement sur le sujet. La thématique écologique et climatique est large : nous avons ici fait le choix de nous focaliser sur le sujet des « investissements » et plus précisément sur la réglementation associée.
D’un point de vue scientifique, les résultats sont unanimes : le dérèglement est là.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) alimente le monde entier en rapports, analyses et inventaires scientifiques multiples sur la situation de la planète et de l’action de l’homme sur cette dernière. Fonctionnant par cycle, nous en sommes aujourd’hui au 6ème cycle. Ce cycle s'achèvera suite à la publication du rapport de synthèse (AR6) au cours du 1er semestre 2022, après la série de 3 nouveaux rapports spécifiques attendus en 2021 (source). A ce jour, ce sont déjà trois rapports spéciaux qui ont été produits, notamment celui d’octobre 2018 qui a mis en évidence l’impact d’un réchauffement de 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels, et qui a particulièrement fait parler de lui, par ses éléments tout aussi factuels... qu’alarmants.
Comment évolue le monde des assurances ?
De solastalgie (ndlr terme donné à l’éco-anxiété), en climato-scepticisme, la tendance générale est tout de même à une évolution de la société vers plus de conscience climatique. Le monde des investissements et des offres bancaires et assurantielles n’y échappe pas : intégrer une approche « green » dans sa stratégie est désormais indispensable.
Nous identifions trois raisons principales :
1. Les risques techniques liés à la dégradation de la sinistralité
Le PDG d’AXA annonçait déjà en 2015 : « Un monde plus chaud de 4 degrés sera impossible à assurer ». Les assureurs connaissent ce risque physique, mais deux autres risques le complètent : le risque de transition et le risque de responsabilité.
2. La vision concurrentielle et commerciale qui est en demande d’une économie plus verte, notamment par le biais de la nouvelle génération qui est de plus en plus sensible à l’avenir de la planète
Les assureurs auront donc un intérêt à se lancer sur ce sujet pour attirer une nouvelle population d’assurés, plus concernés par leur épargne ; et qui pourraient privilégier la qualité des supports par rapport à l’aspect de rentabilité uniquement. Certains acteurs se sont déjà lancés sur le sujet. Cela passe par les supports « verts » (de type label ISR, voir plus bas) mais aussi par une communication accrue sur des actions orientées vers l’écologie. Comme par exemple, l’émission de « green bonds », ces obligations, qui permettent tout à la fois d’émettre de la dette et donc de recapitaliser une structure (nécessaire pour augmenter son ratio de couverture), tout en finançant un projet déterminé pour avoir un impact favorable sur l’environnement. De la même manière, il existe des « climate bond » (impact sur les émissions de carbone), des « water bond » et des « social bond ».
Derrière cette évolution, la véritable interrogation se situe dans la cohérence entre la communication officielle et les actions concrètement réalisées. En effet, dans certains cas, ces opérations peuvent être définies comme étant du « green washing » ! C’est d’ailleurs ce green washing que les réglementations en cours et à venir vont chercher à limiter.
3. Les évolutions et contraintes réglementaires
Ce sont sur ces éléments réglementaires que nous allons nous concentrer pour la suite.
Réglementation : vision française
Alors que le 1er label destiné à reconnaître et favoriser les gérants qui font du développement durable une priorité avait été introduit par Novethic en 2009, c’est en 2016 qu’un label officiel, reconnu par les pouvoirs publics, est né : le label ISR (Investissement socialement responsable). Pour pouvoir prétendre à labellisation, les fonds sélectionnés doivent répondre aux critères ESG : Environnemental, Social et de Gouvernance.
Aujourd’hui, deux types de réglementation s’appliquent aux acteurs de la place :
- Le reporting extra-financier qui permet d’évaluer la prise en compte des critères ESG dans les politiques d’investissements. Ce reporting novateur, évoqué dès 2001 pour les entreprises de plus de 500 salariés et d’un chiffre d’affaires de plus de 100 M€, a été sophistiqué suite à l’article 173-VI de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTE) datant du 17 août 2015, y compris pour les investisseurs institutionnels.
- L’intégration pour les contrats d’assurance vie d’au moins un fonds solidaire, vert ou responsable à partir de 2020, puis d’au moins un fonds de chacune de ces 3 catégories à partir de 2022. Instauré par la loi PACTE, l’AMF sera chargée de vérifier la qualité des informations fournies par les investisseurs sur la gestion ESG. Cette information sera notamment justifiée par des labellisations connues comme le label ISR, ou encore TEEC (Transition Énergétique pour le Climat) et bien d’autres (Greenfin, Finansol, etc.). Ces labels ont pour objectif de guider les assurés sur leurs choix d’investissements.
Réglementation à l’échelle européenne
Même si le sujet est évoqué depuis longtemps, une nouvelle importance lui est donnée depuis quelques mois. A titre d’exemple, en juillet dernier, une nouvelle commission AMF a été instaurée : « climat et finance durable ». D’une manière générale, le monde bancaire est très en avance sur le monde assurantiel. Néanmoins, les choses évoluent aussi rapidement dans le secteur des assurances.
Vision risques
L’EIOPA a rendu en septembre 2019 un rapport sur l’impact écologique sur la solvabilité, demandé par la commission européenne, dans la perspective de la revue de la directive Solvabilité 2 en janvier 2021. Comme vu plus haut, il en ressort que le changement climatique touchera toutes les activités assurantielles, et pas uniquement l’IARD. En effet, des impacts seront également à anticiper au niveau d’une hausse de la mortalité, ou encore sur l’évolution plus aléatoire des investissements… En termes de gestion d’actifs, si l’EIOPA considère que les assureurs ont un rôle à jouer pour l’écologie, les acteurs restent pour l’instant réticents à s’engager : le manque de transparence et le risque de concentration sont leurs principaux arguments évoqués. Le rapport de l’EIOPA annonce tout de même quelques pistes qui pourraient apporter des solutions.
Les risques climatiques et environnementaux sont ainsi encore considérés comme non majeurs par la majorité de la place. La réaction est assez naturelle dans la mesure où ces risques sont encore très incertains, difficilement quantifiables et se situent dans un horizon de temps plutôt long. Évidemment, la conjoncture économique de baisse perpétuelle des taux, et des fluctuations des places de marché (crises, Coronavirus,…) n’aident en rien les assureurs à se concentrer sur un avenir long terme et encore incertain. Si ces risques sont tout de même notifiés dans le pilier 2, la véritable problématique se situe dans leur évaluation quantitative, à commencer par le manque de données propres et prospectives…
Création de transparence et de bases de données : la taxonomie
La mise en place récente de la taxonomie, au niveau européen, a un double objectif : généraliser une meilleure transparence des informations et créer des données de qualité.
C’est en juin 2019 qu’est sorti un rapport sur la taxonomie, réalisé par le TEG (Technical expert group), un groupe d’experts techniques mandatés par la Commission européenne. Ce rapport est destiné à mettre en place une classification des entreprises en fonction de leur impact sur l’environnement, pour plus de transparence. La taxonomie devrait distinguer 3 catégories d’activité : les activités vertes, celles permettant une transition en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et celles permettant de développer les activités vertes. Une fois cette taxonomie mise en place, un produit ou actif pourra être considéré comme vert seulement s’il fait référence à cette classification. Elle sera revue tous les 3 ans.
La taxonomie fait évidemment le lien avec le reporting extra-financier et devra être intégrée à partir de 2021.
A noter qu’aujourd’hui, des agences de notation extra-financières ont vu le jour. Les points principaux qui en ressortent : ces données sont chères, et aucun contrôle n’est encore réalisé… La taxonomie permettra de faire évoluer tant la concurrence que la qualité des données et des contrôles.
A l’aube de l’évaluation quantitative : les Stress Tests
Afin d’amener la place de marché à une quantification de ces risques, ce sont également des stress tests qui commencent à être élaborés et réalisés.
La PRA (Prudential Regulation Autorithy) a instauré en 2019 des « stress tests Life insurance », sur le climat, dont le détail est précisé à ce lien. Ces éléments ont été grandement repris par le régulateur européen pour que les principaux acteurs mènent à bien une étude d’impact sur leurs investissements également. A ce stade, les scénarios destinés à évaluer les impacts du risque climatique, ont surtout pour objectif d’amener les entités à la réflexion et à faire un état des lieux de ce qui est fait actuellement.
Un point de démarrage indispensable pour faire évoluer les choses !
Et pour l’avenir ?
Il est évident que les décisions politiques à venir seront au cœur des principales évolutions de marché, rapides et à court terme. D’ailleurs, peut-être que la crise du Coronavirus que nous traversons aura des impacts sur la vision du monde et sur une meilleure prise de conscience des risques climatiques ?
En l’état, nous savons que les décisions prises sont encore insuffisantes pour respecter les engagements de la France en terme de réchauffement climatique et d’émission de gaz à effets de serre. Un effort supplémentaire sera-t-il demandé prioritairement au monde financier ? Certains imaginent le principe d’une fiscalité avantageuse maintenue en assurance vie, sous condition d’impact positif sur l’environnement… Sujet sensible pour sûr…
Quoiqu’il en soit, pour respecter les alertes de nos scientifiques, des solutions devront être trouvées. Le CESE a notamment publié un rapport début 2019 apportant des idées de toutes sortes.
Au-delà des décisions gouvernementales, chaque acteur a son rôle à jouer. Un peu comme ce colibri, qui, à sa manière, apporte sa goutte d’eau pour éteindre l’incendie. Et si les grandes structures peuvent déployer des moyens pour travailler sur ces sujets, leur mise en action pourrait être plus complexe à mener que pour des plus petites structures, plus agiles, qui pourraient devenir les avant-coureur.
Deux questions restent en suspens :
- Comment assurer des données transparentes de qualité qui illustrent les véritables actions positives pour l’environnement, loin d’un green-washing dissimulé ?
- Comment faire évoluer le monde de l’assurance, tout en préservant l’équilibre entre actions dans le sens écologique et besoin de rentabilité ?
Rédactrices : Anne-Sophie MUSSET / Elise CALLAC
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