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Les impacts de la Loi Lemoine en assurance emprunteur


L’assurance emprunteur a fortement évolué ces dernières années sous l'effet de différentes lois mises en place par le gouvernement dans l’objectif de la rendre plus accessible et de faire baisser les tarifs en augmentant la concurrence (loi Lagarde, loi Hamon, amendement Bourquin). La loi Lemoine a été adoptée le 17 février 2022. Celle-ci apporte trois principales évolutions : la résiliation infra-annuelle, l’extension et la réduction du délai pour le droit à l’oubli et la suppression de la sélection médicale pour une partie des prêts. Ces changements n’ont pas fait l’unanimité dans le domaine de l’assurance.


Description de la loi Lemoine


Droit de résiliation infra-annuelle

La loi Lemoine dispose de trois volets. Le premier d’entre eux est dans la continuité des lois Lagarde, Hamon et Bourquin : il étend les possibilités de résiliation en permettant aux assurés de résilier leurs assurances de prêt à tout moment à compter de la date de signature de l’offre de prêt. Le principe d’équivalence du niveau des garantie est conservé, c’est-à-dire que le niveau de garantie du nouveau contrat doit être au moins équivalent à celui de l’assurance emprunteur précédente. Ces évolutions sont applicables au 1er juin 2022 pour les nouveaux contrats et au 1er septembre 2022 pour les anciens contrats, souscrits avant le 1er juin 2022.


Amélioration du droit à l’oubli

Un deuxième volet concerne la réduction du délai pour le droit à l’oubli : avant le 2 mars 2022, les anciens malades du cancer bénéficiaient du droit à l’oubli 10 ans après leur guérison. Avec la loi Lemoine, ce délai est réduit à 5 ans après leur guérison pour les personnes anciennement atteintes d’un cancer ou de l’hépatite C. L’objectif est de rendre plus accessible l’assurance emprunteur pour tous, il est même prévu que cette disposition soit étendue à d’autres maladies chroniques, comme le diabète.


Suppression partielle de la sélection médicale

Pour améliorer l’accessibilité de l’assurance emprunteur, la loi supprime la sélection médicale pour les emprunts de moins de 200 000 € par personne assurée sur l’encours cumulé des contrats de crédit, dont l’échéance de remboursement intervient avant les 60 ans de l’emprunteur.

Les contrats de moins de 200 000 € représentaient, en 2020, 77% des contrats[1] et entre 40% et 50%[2] de montants couverts. En 2019, 96% des demandes de couverture présentant un risque aggravé de santé ont reçu une proposition d’assurance couvrant au moins le risque décès. Dans 27% des cas, une surprime a été appliquée, et dans 2% des cas une exclusion de garanties a été intégrée au contrat. De plus, ces statistiques ne permettent pas d’identifier la part des individus qui ne faisaient pas les démarches pour avoir un prêt par crainte de refus. La mise en place de la loi Lemoine aura donc une portée non négligeable pour une majorité des acteurs.


Les conséquences de la loi Lemoine


L’objectif de la loi Lemoine est de rendre plus accessible l’assurance emprunteur pour tous à travers l’amélioration du droit à l’oubli et la suppression de la sélection médicale , mais également de faire baisser les prix en faisant jouer la concurrence grâce aux facilités de résiliation.


Nous pouvons nous attendre à d’autres conséquences qui pourraient venir perturber l’atteinte de ces objectifs.


Impact sur la sinistralité, et sur les tarifs

Un des objectifs de la loi Lemoine est de faire baisser les tarifs grâce à une concurrence facilitée avec la résiliation infra-annuelle. Pour le moment, il est compliqué d’évaluer s’il y a eu plus de changements d’assurance avec la mise en place de cette loi. En effet, nous n’avons pas suffisamment de recul. De plus, le contexte actuel, avec notamment la hausse des taux, impacte déjà le marché de l’assurance emprunteur, il pourra donc être compliqué de différencier ce double effet.

La sélection médicale permet d’exclure les risques plus élevés ou de mettre en place une surprime pour compenser une sinistralité plus importante. Par conséquent, la suppression de la sélection médicale et la diminution du délai pour le droit à l’oubli devraient dégrader la sinistralité et le résultat sur les portefeuilles concernés.

Face à cette augmentation de la sinistralité, certains acteurs choisiront d’augmenter leurs tarifs pour ne pas rogner sur leur marge actuelle, et ce, pour tous les individus car il y aura moins de segmentation possible en l’absence de données sur la santé et donc plus de mutualisation entre les profils d’assurés. C’est d’ailleurs ce qui a été observé dès juin 2022 lors de la mise en place de la loi. Certains acteurs, essentiellement bancaires, n’ont pas fait évoluer leurs prix, pendant que d’autres, plutôt des acteurs spécialisés, ont fait évoluer leurs tarifs, jusqu’à +30%.

Cet effet intervient en parallèle avec la hausse des taux, impliquant des prêts qui pourront être de plus en plus compliqués à obtenir, notamment en raison de l'atteinte du taux d’usure.


Pour essayer de prévenir la hausse de la sinistralité, les assureurs pourraient tester de nouvelles méthodes :


Mise en place / augmentation d’un délai de carence et des exclusions

Pour limiter le risque et la dérive de sinistralité, les assureurs pourraient augmenter les délais de carence ou mettre en place de nouvelles exclusions, limitant ainsi la couverture au détriment des assurés.


Développement d’études prédictives à partir des données alternatives communiquées

Les assureurs qui disposent des informations pour l’emprunt (bancassureurs) pourraient construire des indicateurs à partir de la situation financière du client, notamment à partir des informations présentes sur les relevés de compte. Sous réserve qu’ils arrivent à concilier cette approche avec le RGPD, des études prédictives pourraient être réalisées pour essayer de repérer les bons et les mauvais risques afin de les sélectionner ou de proposer des tarifs différenciés. Cela pourrait apporter un avantage concurrentiel non négligeable pour les bancassureurs.


Tout de même, cette loi pourrait avoir des conséquences importantes pour certains acteurs, notamment ceux qui sont le plus concernés par les prêts rentrant dans le périmètre de la suppression de la sélection médicale.


Revue de la mutualisation

Puisque la mesure est appliquée pour les prêts inférieurs à un montant fixé, une segmentation pourrait être faite entre les prêts inférieurs et les prêts supérieurs à ce montant. Cela impliquerait une mutualisation moindre entre les contrats, ce qui pourrait avoir également des conséquences sur l’équilibre des portefeuilles non concernés directement par la loi.


Risque de dérive

Si les prix augmentent de manière trop importante, les personnes « moins risquées » pourraient choisir de ne pas prendre d’assurance emprunteur mais d’opter pour un contrat temporaire décès, qui dispose généralement d’une sélection médicale.

Poussée à l’extrême, il y a également un risque d’effet d’aubaine avec des personnes qui pourraient profiter de cette possibilité en faisant un emprunt dans l’objectif de transférer du patrimoine à ses héritiers tout en créant de la richesse. Ce risque d’antisélection est difficile à évaluer actuellement.


Il faudra rester attentif aux évolutions du marché pour observer en pratique les conséquences de la loi Lemoine. Elle devrait permettre de libéraliser le marché de l’assurance emprunteur. Cependant, d’autres effets inattendus lors de la rédaction de cette loi pourraient venir réduire les bienfaits espérés. Les résultats dépendront également de la façon dont les différents acteurs de l’assurance joueront le jeu. Une évaluation du dispositif est prévue d’ici deux ans par le Comité consultatif du secteur financier (CCSF), afin de disposer d’avis « éclairés et objectifs », selon la députée Patricia Lemoine.

 

[1] D’après le rapport 2020 « Bilan de l’assurance emprunteur » réalisé pour la CCSF [2] D’après les statistiques de l’AREAS de 2019


 

Rédactrice : Elise Callac

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