La réforme de la protection sociale des agents des services publics sera la réforme à suivre sur 2021. Le rapport "Protection sociale complémentaire des agents publics" rédigé par l'IGF, l'IGA et l'IGAS [1] a été le premier à mettre en lumière les défaillances du système actuel avec pour principale conséquence une protection réduite des agents. Les premières propositions de réformes sont en cours de négociation dans un objectif d'amélioration de la couverture et d'alignement des pratiques entre le public et le privé.
Pour mieux comprendre les débats nous vous proposons de revenir sur les spécificités notamment actuarielles de ces risques qui conduisent aujourd'hui à réviser le modèle de la protection sociale dans la fonction publique.
Etat des lieux de la protection sociale des fonctionnaires
La protection sociale avant 2006
Ici, nous nous focaliserons sur la fonction publique d'Etat.
Initialement, chaque ministère disposait d'une mutuelle dite "de fonctionnaires" avec des statuts particuliers décrits dans le code de la mutualité. Ces organismes bénéficiaient à la fois d'un financement direct de la part de l'Etat et d'un financement indirect avec notamment la mise à disposition de locaux.
Ces mutuelles de fonctionnaires pour les fonctionnaires (SMAR, MGAS...) accompagnaient les agents du service public de leur entrée dans la fonction publique, à leur passage à la retraite jusqu'à leur décès. Cette particularité a permis à ces organismes de mettre en place une forte mutualisation du risque notamment auprès des retraités via l'entrée de jeunes agents dans leurs portefeuilles.
Grâce à leurs expériences, ces mutuelles ont également été en capacité de proposer en complément des garanties "santé" des garanties "prévoyance".
Ainsi, les mutuelles de fonctionnaires disposaient d'un certain monopole leur permettant d'acquérir les données nécessaires au suivi des risques santé et prévoyance des fonctionnaires. En complément, la concurrence très réduite leur permettait de trouver un équilibre technique dans la mutualisation du risque et plus particulièrement pour le stock important de retraités qu'elles ont pu acquérir.
La protection sociale après 2006
Ce monopole et les financements de la part de l'Etat ont conduit à une révision du code de la mutualité pour respecter le droit européen.
Pour garantir le droit à la concurrence, un mécanisme de référencement d'offres a été mis en place par ministère avec une durée prédéfinie de validité. Ainsi, tous les acteurs de la protection sociale peuvent soumettre leur candidature pour faire référencer leurs offres auprès de chacun des ministères.
La sélection de l'organisme complémentaire se fait par l'optimisation du rapport garanties / coût et la mise en place d'une forte mutualisation du risque dans les grilles tarifaires par l'intégration d'un degré important de solidarité intergénérationnelle, familiale et en fonction de la rémunération. Des mécanismes de pénalités ont également été mis en place pour limiter l'effet d'antisélection du risque inhérent aux produits à adhésion facultative.
Aujourd'hui l'ensemble des ministères à l'exception de celui de l'intérieur a référencé de une à quatre offres. Leurs agents ont donc la possibilité de sélectionner un des organismes référencés pour bénéficier d'un contrat santé à adhésion facultative et profiter d'une aide de financement de cette couverture par l'Etat. Cette dernière varie de 3€ par an pour le ministère de l'éducation nationale à 121€ par an pour le ministère des affaires étrangères ce qui représente de 0% à 10% du coût de la couverture.
Les effets inattendus des référencements
Pour les assurés
Un système complexe
La mise en concurrence par la procédure de référencement augmente la liberté de choix des agents qui ne se voient pas imposer un organisme complémentaire. Cependant, le manque de communication des services RH des ministères sur la protection sociale auprès de leurs agents rend la compréhension de ce système assez difficile. De plus, lors de la réalisation de la deuxième campagne de référencement, aucun transfert de contrats ne s'est mis en place ce qui a conduit à l'existence de générations de contrats ne disposant pas des mêmes avantages et rendant encore plus complexe, pour les agents, le suivi de leurs assurances.
Une adhésion limitée
Les contrats proposés sont des contrats individuels à adhésion facultative. Ces contrats proposent une mutualisation forte pour limiter le coût de la protection sociale des retraités, familles et agents aux plus faibles revenus (catégorie C). En complément, l'Etat finance moins d'un dixième du coût des garanties.
Ainsi, pour les jeunes cadres actifs de la fonction publique, il est plus intéressant financièrement de se couvrir soit en ayant-droit de salariés soit de faire appel à une couverture individuelle classique sans subvention de l'Etat.
La mise en place des comparateurs en ligne, l'uniformisation des offres santé et la résiliation infra-annuelle sont autant d'éléments qui accentuent cette fuite des "bons risques" vers des offres non référencées. Tout ces éléments limitent donc l'adhésion des agents.
Prévoyance : la grande oubliée
La prévoyance reste une garantie vendue en complément des produits santé. Les garanties existantes couvrent principalement le risque court qu'est l'arrêt de travail. Par contre l'invalidité et le décès ne sont pas proposés prioritairement alors que ces deux risques représentent une perte de revenus plus importante pour le foyer de l'assuré.
En complément, il est pour le moment très difficile pour un agent de souscrire une garantie de prévoyance seule. Ainsi, les agents ayant-droit de salariés pour leur mutuelle santé ne peuvent disposer à titre personnelle d'une garantie de prévoyance référencée.
En conclusion, les garanties prévoyance ne sont pour le moment pas prioritaires. La population des agents publics reste donc peu couverte en prévoyance comparativement aux salariés du privé.
Pour les organismes assureur
Une double mise en concurrence
Les organismes complémentaires sont mis en concurrence une première fois via la sélection des offres référencées par les ministères. Pour réussir, ces derniers ont dû mettre en place un modèle tarifaire basé entre autre sur des hypothèses d'adhésion, de vieillissement de la population assurée et de mutualisation.
Une fois référencés, certains organismes complémentaires sont à nouveau mis en concurrence pour les ministères ayant référencé plusieurs organismes.
Cette deuxième mise en concurrence fragilise la mutualisation initialement construite. En effet, certains organismes peuvent avoir ciblé les agents au risque le plus faible mettant en grandes difficultés les organismes concurrents disposant d'un stock de retraités.
Ce phénomène est représenté dans le graphique ci-dessous.
L'organisme complémentaire 1 (OC1) propose une cotisation avec une forte mutualisation du risque (par âge et catégorie de fonctionnaires). De ce fait, les jeunes agents de catégorie A ont une cotisation bien au delà du coût de leur risque pour permettre de proposer des tarifs très attractifs aux retraités.
Lorsque ce modèle est mis en concurrence avec celui de l'organisme complémentaire 2 (OC2), les meilleurs risques sont directement captés par cet organisme. En effet, les agents ciblés peuvent bénéficier directement d'une cotisation plus attractive que celle proposée par l'OC1. Les promesses d'économies futures de l'OC1 ne sont pas suffisantes pour attirer les nouveaux agents.
Cette situation devient très problématique pour les organismes historiques disposant d'un stock de retraités conséquents et qui voient disparaitre les adhésions pérennisant leur modèle de mutualisation. L'équilibre technique des offres n'est ainsi plus garantie.
Des évolutions dans la fonction publique qui impactent la mutualisation
Ces difficultés de mutualisation sont accentuées par l'évolution de la fonction publique. En effet, les titularisations sont de plus en plus réduites pour laisser place à des fonctionnaires contractuels. Ces derniers ne réalisent pas forcément l'entièreté de leur carrière dans la fonction publique ou même au sein d'un même ministère. Cette évolution accentue les difficultés de mutualisation au sein d'un même ministère en amplifiant un déséquilibre entre un stock de retraités et de nouveaux assurés aux durées de vie de contrats réduites.
En conclusion, les référencements ont été mis en place pour mettre en concurrence des organismes complémentaires et sélectionner ceux proposant à la fois une forte solidarité dans leurs tarifications et un bon rapport garanties / prix.
Cependant, la mise en pratique de ces référencements conduit à une adhésion limitée des agents et à des difficultés de maintien de la forte mutualisation du risque pour les organismes complémentaires.
Et pour les territoriaux ?
Les fonctionnaires territoriaux peuvent bénéficier du financement d'une partie de leur protection sociale par leur employeur. Les contrats proposés sont là aussi des contrats à adhésion facultative. Seuls des produits labellisés par un cabinet d'actuaires peuvent être sélectionnés pour notamment garantir les conditions de solidarité intergénérationnelle.
Le rapport de l'IGAS met cependant en avant trois principales difficultés à la mise en place d'une protection sociale adaptée pour les territoriaux :
- Un manque d'expérience des équipes RH dans la sélection d'une offre labellisée
- L'existence d'offres aux prix attractifs mais sous-estimant le risque spécifique des territoriaux et conduisant à de fortes revalorisations tarifaires tout particulièrement en prévoyance
- L'absence d'uniformisation des libellés des garanties et des exclusions des produits de prévoyance rendant difficile leurs comparaisons et leur compréhension
Les propositions
Pour remédier à l'ensemble de ces difficultés, un projet d'ordonnance de la direction générale de l’administration et de la fonction publique a mis en lumière les premiers axes de réflexions pour améliorer la couverture des agents.
Financement de la santé
Dans un premier temps le financement des complémentaires santé serait porté à 50% de la couverture de base par l'Etat pour chacun des agents. Cette reforme devrait être mise en place dès 2022 ou à partir de la fin des référencements actuels. Pour les fonctionnaires territoriaux, le financement minimal par l'employeur public serait de 50% d'un montant de référence à partir de 2026.
Ces hausses conséquentes de financement ont pour but d'augmenter l'adhésion des agents aux offres référencées tout en diminuant le coût de leur couverture pour les rapprocher de ceux du privé.
Financement de la prévoyance
La fonction publique d'Etat aurait la possibilité de financer la couverture prévoyance de ses agents à titre facultatif. Aucune garantie minimale n'est pour le moment évoquée.
Pour la fonction publique territoriale, un financement obligatoire correspondant à 20% d'un montant de référence devrait être mis en place dès 2026.
Evolution contractuelle
Pour la fonction publique d'Etat, le principe de la mise en concurrence des organismes complémentaires devrait perdurer tout en conservant une logique de forte mutualisation entre les actifs et les retraités.
Pour élargir la souscription et optimiser la mutualisation, il serait possible de mettre en place des contrats à adhésion obligatoire. La mise en place d'une telle réforme serait une révolution dans la sphère publique et permettrait de stabiliser la mutualisation du risque.
Pour la fonction publique territoriale, il est pour le moment difficile de savoir si le système de labellisation sera conservé. Si c'est le cas, l'ensemble des labels devra être actualisé dans les nouvelles conditions de participation de l'employeur public.
Conclusion
La réforme de la protection sociale des agents de la fonction publique sera une réforme d'ampleur pour l'année 2021. L'objectif affiché est d'améliorer la couverture des agents tout en maintenant une haute solidarité via une forte mutualisation du risque.
Les premières propositions laissent entrevoir une hausse du financement par les employeurs publics et l'éventualité de la mise en place d'une obligation d'adhésion. Ces modifications de fond seront essentielles dans les réponses aux futurs appels d'offres publics et dans les études actuarielles d'analyse de stabilité des régimes.
Rédacteurs : Aurélie TREILHOU, Guerric BRAS
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