Retour sur la revue transversale de l’ACPR
Le contexte
Au cours du second semestre 2020, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) a réalisé une revue des GSE risque neutre utilisés pour l’évaluation du best estimate (BE) de 15 organismes d’assurance, et a publié le 7 décembre un document résumant les points d’attention ainsi que les bonnes pratiques relevées durant celle-ci [1].
De l’importance des modèles et du calibrage
L’ACPR souligne que le GSE utilisé par l’organisme d’assurance doit permettre de modéliser son portefeuille d’actifs et sa volatilité. En conséquence le choix des facteurs de risques modélisés doit en refléter le profil. Une étude de l’impact de la modélisation de l’inflation ou des spreads de crédit stochastiques est ainsi a minima requise si l’organisme y est exposé.
Le GSE doit également refléter la réalité des marchés, à commencer par la modélisation de taux d’intérêt négatifs. Dans le cas de modèle Displaced Libor Market Model ou DLMM, le choix du facteur de déplacement doit faire l’objet d’une attention particulière, sa sous-estimation entraînant la simulation de scénarios explosifs nécessitant généralement un retraitement.
💡 Illustration
Dans l'exemple ci-dessous, nous avons défini un plafond à 50% pour les taux dix ans. Avec un décalage à 2%, ce plafond est atteint par des scénarios explosifs qui seraient donc retraités. Le plafond n’est pas atteint avec un facteur de déplacement à 5%.
En fonction de son portefeuille, la compagnie d’assurance peut déterminer la complexité des modèles qu’elle souhaite utiliser dans le GSE (modèle de taux court vs modèle de marché pour les taux par exemple), ainsi que le paramétrage associé. L’ACPR n’exclut pas les modèles simples. Pour autant, les provisions techniques ne doivent pas être sous-estimées par la simplicité et l’organisme doit s’en assurer.
Le choix des modèles est structurant dans l’évaluation du best estimate et des autres indicateurs de suivi de l’assureur.
Par exemple, la sophistication du GSE par l’utilisation d’une volatilité dépendante du temps pour les actions permet une convergence vers une volatilité de long terme. Cette approche pourrait s'avérer adaptée à une réalité de marchés stressés comme vécu au T1 2020 et permettrait de réduire la sensibilité du ratio de solvabilité à la volatilité de ces marchés. Nos travaux ont ainsi montré un potentiel d’amélioration du ratio de solvabilité significatif mais dont l'ampleur est à nuancer en fonction du profil de risque.
Les modèles choisis doivent être calibrés sur l’ensemble des données de marché qui doivent respecter les exigences de transparence, de liquidité ainsi que de profondeur des marchés.
Lorsque de telles données ne sont pas disponibles, les hypothèses utilisées pour le calibrage du GSE doivent être justifiées et correspondre à la nature des actifs du portefeuille de l’assureur. Pratiques de marché et prudence feront foi dans ce cas.
La structure de dépendance des facteurs de risques et son calibrage doivent également faire l’objet d’une attention particulière et être dument justifiés.
Les retraitements du jeu de scénarios, qui doivent parfois être effectués afin d’éliminer les scénarios trop extrêmes qui empêcheraient la bonne marche du modèle ALM, doivent rester exceptionnels. Ces retraitements ne doivent pas compromettre le principe d’absence d’opportunité d’arbitrage, et le respect de la probabilité risque neutre.
Enfin la fuite de modèle qui perdure en sortie du modèle ALM doit être allouée de la manière la plus prudente et donc pénalisante pour l’assureur.
De la mise en place d’un suivi du GSE
Le GSE, hypothèse clé dans l’évaluation du BE, doit être encadré par une gouvernance dédiée. Les choix structurants associés au GSE (l’ACPR cite par exemple : le choix des modèles, des données de calibrage, de la définition des paramètres clés, des corrélations, du nombre des scenarios ou de la graine) doivent être surveillés, notamment par la fonction actuarielle, et discutés et validés avec soin par les comités en charge du pilotage du BE.
La gouvernance définit les tests qui doivent être réalisés afin de s’assurer de la précision et robustesse du GSE utilisé [2]. Elle inclut la définition de seuils, si possible en fonction de l’erreur maximal qu’ils impliquent sur le BE ou la valeur de marché des actifs, et explicite les mesures correctives prévues en cas de dépassement de ces seuils (étude approfondie de la cause des dépassements ou augmentation du nombre de scénarios par exemple). Ces seuils doivent être définis pour chaque classe d’actifs ainsi qu’au global.
Les tests doivent être effectués avant et après éventuels ajustements des scénarios, y compris l’application de méthodes de réduction de variance.
L’externalisation du développement du GSE (cas de 80% des organismes consultés) ou de son calibrage n’exclut pas pour autant la maitrise des calculs qui doivent faire l’objet d’une analyse approfondie.
Enfin, la communication au régulateur, via le rapport RSR, doit être claire sur ces hypothèses et sur les changements opérés entre deux arrêtés.
Conclusion
Sujet central pour le régulateur, la maitrise du GSE englobe de nombreuses problématiques structurantes pour l’évaluation des engagements de l'organisme et de sa solvabilité :
Choix des facteurs de risques, des modèles pour chacun d’entre eux, de la structure de dépendance ;
Calibrage des volatilités en présence ou non d’instruments financiers permettant leurs estimations ou encore calibrage de la structure de dépendance choisie entre les facteurs ;
Vérification du respect de la probabilité risque neutre, de la cohérence avec les marchés, de la bonne implémentation du modèle, et de la bonne reproduction du calibrage.
Chacune doit être abordée en combinant rigueur mathématique, pragmatisme et prise en compte des spécificités de l’organisme. Le suivi de ces choix et leurs validations doivent être pleinement intégrés dans la gouvernance de l’organisme.
Mais au-delà d’une nécessité réglementaire, nous avons pu constater au cours de nos accompagnements que la compréhension fine du GSE, de sa modélisation et de ses impacts permet un pilotage plus efficient de la solvabilité de l’organisme.
Les références règlementaires
Code des assurances :
Réglement délégué :
Rédacteurs : Léa GUILLOT, Pierre-Alexandre ETIENNE, Jérôme SPAGNOL
[1] https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/20201204_article_gse_revue.pdf
Crédit photo :
Grey Diamond - Walter Aitken and Hyacinth Drechney funds
© Estate of Ilya Bolotowsky/Licensed by VAGA, New York, NY
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