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Quels impacts de la résiliation infra-annuelle en assurance santé ?


 

La loi n°2019-733 du 14 juillet 2019 a officialisé le droit à la résiliation sans frais des contrats de complémentaires santé à tout moment après un an d'ancienneté du contrat. Cette loi entrera en vigueur le 1er décembre 2020.

Outre les problématiques évidentes de gestion des résiliations et de la garantie de non rupture de la couverture santé des assurés, cette réforme pose également la problématique du suivi du risque santé et l'impact sur la solvabilité des assureurs.


 

Les résiliations avant la réforme


Avant cette loi, il était déjà possible pour un assuré ou pour une entreprise de résilier son contrat complémentaire santé en respectant un délais de deux mois avant la date d'anniversaire du contrat. Il est également possible de résilier via l'application de la loi Chatel. Si l'organisme assureur ne respecte pas les modalités d'envoi de l'avis d'échéance à l'assuré (au plus tôt 30 jours et au plus tard 15 jours avant la date limite de résiliation) alors l'assuré peut résilier à tout moment.


Classiquement, les entreprises mettent en place une résiliation à titre conservatoire avant le 31 octobre pour analyser leur régime santé et mettre en concurrence l'assureur en place.

Peu d'acteurs respectant le délais d'envoi des avis d'échéance, il est également possible pour de nombreux assurés individuels de résilier leur contrat. Cependant, la faible connaissance de cette loi et les conditions d'application non évidentes pour des néophytes de l'assurance expliquent le faible recours à cette possibilité de résiliation.


Le gouvernement a donc cherché à faciliter les démarches pour résilier son contrat santé comme il l'avait précédemment fait pour l'assurance emprunteur. Les gains importants de la popularisation de l'assurance emprunteur individuelle vantés par les médias ont surement laissé penser que la mise en place de facilités de résiliation allait naturellement entraîner une baisse des prix des complémentaires santé.

Mais cela sera-t-il vraiment le cas ?



Les grands points de la réforme


Les principaux points de cette réforme sont :


  • La facilitation des démarches pour demander une résiliation. Maintenant, il est possible de demander une résiliation via le même support de communication que celui de l'assureur au moment de la souscription. Ainsi dans le cadre d'une souscription en ligne, l'assureur devra laisser la possibilité à l'assuré de résilier son contrat en ligne également.

  • La possibilité de résilier son contrat d'assurance santé individuelle ou collectif facultatif pour un individu et collectif obligatoire pour une entreprise à tout moment après un an de souscription. L'organisme assureur résilié disposera d'un mois pour réaliser les démarches nécessaires et rembourser les cotisations sur les périodes non couvertes. Le nouvel organisme assureur aura lui la charge d'effectuer pour le compte de son nouvel adhérent l'ensemble des démarches de résiliation de son contrat.

  • Avant la souscription puis annuellement, l'organisme assureur aura la charge de communiquer le ratio sinistres sur primes hors taxes afférent aux garanties ainsi que le détail des frais.



Quelles conséquences techniques et actuarielles ?


En plus des problématiques de gestion qui pourraient indirectement dégrader la qualité des bases de données, cette réforme soulève trois points d'analyse détaillés dans la suite de l'article :

  1. La modification du comportement des assurés

  2. En conséquence, l'impact sur la mutualisation du risque

  3. L'évolution du ratio de solvabilité



1. Modification des comportements 


En assurance individuelle


L'assurance santé n'est plus une simple assurance. Sur beaucoup d'aspects elle a été transformée en une couverture de la consommation médicale. L'expression "rentabiliser sa cotisation" prend ici tout son sens.


En assurance individuelle, l'assuré a la possibilité de calquer sa couverture avec son risque. La tarification de ce type de produit intègre donc des coefficients d'anti-sélection pour modéliser cette sur-consommation. De plus pour ne pas avoir des assurés qui modifient leur couverture en fonction de leurs soins futurs (pose d'implants, hospitalisation dans des cliniques privées...), les assureurs mettent en place des règles spécifiques en ce qui concerne l'augmentation des garanties. Il n'est par exemple pas possible de passer directement d'un contrat entrée de gamme à un contrat haut de gamme sans passer par un contrat milieu de gamme.

La possibilité de résilier à tout moment après un an de couverture va donc encourager ce comportement mais cette fois-ci en permettant de calquer sa couverture en fonction de ses besoins non pas avec le même porteur de risque mais en changeant directement d'assureur.


En assurance collective


Modification du comportement des entreprises


En assurance collective, la question de l'utilisation de la capacité de résiliation infra-annuelle se pose. Les situations sont très diverses en fonction de la taille de l'entreprise et de la présence ou non d'un courtier.



Les TPE et PME ont tendance à être positionnées sur des produits simples de type standard ou conventionnel. Les entreprises faisant appel au courtage ou de grands groupes vont eux favoriser les produits sur-mesure.


La facilité de résiliation va augmenter la mise en concurrence des assureurs. Les entreprises n'auront plus à respecter les deux mois de préavis nécessaires si une offre plus compétitive se présente. Cette réforme va également permettre de lisser dans le temps les études des courtiers qui n'auront plus de dates limites à respecter pour résilier ou pour demander une résiliation à titre conservatoire.


Pour les PME et TPE, cela va se traduire par une sortie des entreprises des produits conventionnels pour s'orienter vers des offres dites "miroirs" copiant les garanties conventionnelles mais dont la tarification peut différente et plus segmentée. Peu de TPE et PME pourront prétendre à des produits sur-mesure car les coûts de gestion pour les assureurs sont trop importants pour ces produits pour en faire la commercialisation sur cette cible.



Pour les grands comptes et les contrats courtés, la mise en concurrence des assureurs va augmenter le nombre de contrats sur-mesure. Elle va aussi faire tendre les S/P des contrats vers 100% chaque assureur proposant un tarif plus attractif qu'un autre jusqu'à ce seuil. Une fois que les entreprises ne pourront plus supporter le coût de leur risque, celles-ci vont alors s'orienter vers des produits mutualisés comme les standards et les conventionnels. Cela implique donc une grande vigilance des actuaires pour le suivi des produits collectifs standards ouverts au courtage.



Modification du comportement des salariés


A cette modification du comportement des entreprises il faut ajouter une modification du comportement des salariés. En effet, il est observé que les salariés n'ont pas le même comportement en fonction de leur ancienneté dans le contrat collectif.

Une étude de la consommation de 90 000 bénéficiaires d'assurance collective sur 5 ans a montré que toute chose égale par ailleurs, un assuré ayant 1 an d'ancienneté dans le contrat consomme 6% de plus en dentaire et 3% de plus en optique comparé à un assuré ayant 5 ans d'ancienneté dans le contrat. Cela peut notamment s'expliquer par un phénomène d'aubaine en cas d'absence de couverture avant l'entrée dans l'entreprise ou encore par le fait qu'à l'entrée dans le contrat, les salariés sont informés de leurs garanties.


En conclusion, la résiliation infra-annuelle va entraîner une augmentation des comportements opportunistes des entreprises et des courtiers qui risquent de mettre à mal les résultats techniques des assureurs.



2. Impact sur la perte de la mutualisation ?


La recherche du meilleur tarif à un instant t est certes bénéfique pour l'assuré qui voit sa facture diminuer. Cependant, cela met à mal la mutualisation du risque. En effet, la définition d'une prime pure directement indexée sur le risque va entraîner un gain important de cotisations pour les jeunes actifs. A contrario, les primes d'assurance vont devenir inaccessibles pour les retraités qui ne pourront plus s'assurer.

L'équilibre global des contrats individuels basés sur la présence de bon risque qui permet au mauvais d'être assuré est menacé. Les jeunes actifs quittant le produit pour avoir un tarif plus attractif, seuls restent les retraités qui ne sont plus assurables ailleurs et qui devront à terme payer le prix de leur risque sans bénéficier de la capacité de résilier leurs contrats.


En assurance collective, la perte de la mutualisation au sein notamment des contrats conventionnels a été très visible lors de la fin des clauses de désignation. Les meilleurs risques ont pu quitter la mutualisation pour aller sur d'autres contrats standards et sur-mesure. La résiliation infra-annuelle risque d'accentuer ce phénomène.


Tout cela montre la nécessité d'adapter les modèles tarifaires pour la construction de nouvelles offres. La notion de propension à résilier doit être ajouter à la modélisation du risque santé et aux objectifs commerciaux.



3. Et la solvabilité des organismes assureurs ?


La solvabilité des organismes complémentaires va être impactée de façon limitée par

  • L'augmentation des frais de gestion et d'acquisition

  • L'augmentation du nombre d'affaires nouvelles et la baisse du taux de renouvellement

  • L'augmentation de la sinistralité en cas de non revue des tarifs

Ainsi, en simulant l'impact sur le ratio de solvabilité de la réforme pour une mutuelle santé et prévoyance avec

  • Une augmentation des frais de gestion et d'acquisition de 1%

  • Une baisse du renouvellement de 5% et une hausse des affaires nouvelles de 2.5%

  • Une augmentation du S/P santé de 2%

Nous obtenons une baisse du ratio de solvabilité de 7%.


En revanche, l'impact associé à la définition du volume des primes conservé dans la formule standard sera plus important.


En assurance santé, la définition du volume de primes associé à la possibilité de résilier après un préavis de 2 mois a poussé l'ACPR à conserver 14 mois de cotisations dans le volume de primes.

La fin du préavis de 2 mois entraînerait vraisemblablement la conservation de 12 mois de cotisations dans ce calcul. Un tel changement de définition aura un impact important sur la solvabilité des organismes avec pour notre exemple une hausse du ratio de solvabilité de 24%.


La seule modification des 2 mois de préavis pourra engendrer une hausse de ratio de solvabilité de 24%.

 

Pour rappel la définition du volume pour le risque de primes et réserves d''un segment donné se calcule comme suit :

Ps représente une estimation des primes à acquérir par l'entreprise d'assurance au cours des 12 mois à venir

Plast représente les primes acquises par l'entreprise d'assurance au cours des 12 derniers mois.

FPexisting représente la valeur actuelle attendue des primes à acquérir par l'entreprise d'assurance après 12 mois à venir pour les contrats existants

FPfuture représente la valeur actuelle attendue des primes à acquérir par l'entreprise d'assurance pour les contrats dont la date de comptabilisation initiale survient dans les 12 mois à venir, mais à l'exclusion des primes à acquérir au cours des 12 mois qui suivent la date initiale


 


Conclusion


En conclusion, cette réforme ne va pas seulement mettre à mal la gestion des contrats santé mais va avoir des impacts sur la rentabilité des produits ainsi que sur la solvabilité des organismes complémentaires.

L'augmentation de la concurrence poussera à la segmentation des tarifs pour proposer des tarifs attractifs aux bons risques. Cette logique risque de mettre à mal la mutualisation et d'impacter négativement les individus qui aurait du bénéficier de la réforme


La perte de la mutualisation qui a déjà touché les branches professionnelles par la fin des clauses de désignation risque de s'accentuer par la possibilité de résilier à tout moment. Les organismes assureurs peuvent aussi décider de ne pas rester passif face à cette réforme et créer de nouvelles offres et produits pour conquérir des parts de marché supplémentaires.






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